Publication du rapport du BEA pointant les pilotes d'Air France dans l'accident de l'AF447
À peine quelques semaines avant l’ouverture du procès de l'AF447 Rio/Paris, peu de temps après que le traitement structurel de la Sécurité des Vols au sein d'Air France fut mis à l'ordre du jour des médias et un an après que le rapport interne d'Air France sur le sujet de la fuite carburant fut clôturé après sept mois d'enquête, le Bureau Enquêtes et Analyse (BEA) vient tout juste de publier un rapport pointant des « violations délibérées et systémiques » des procédures par les pilotes d’Air France.
Ce rapport s’appuie sur 4 évènements choisis sur les cinq dernières années, soit 4 vols parmi environ 1,5 million, ce qui ne peut objectivement constituer, en l'état, une tendance.
Il convient de rappeler par ailleurs que l’objectif premier du BEA est de concourir à l’amélioration de la Sécurité des Vols au travers de recommandations émises suite à ses enquêtes et non de jouer les procureurs à charge.
Le syndicat ALTER ne conteste ni ces événements ni les différentes défaillances que l’enquête a pu mettre en exergue. Les pilotes de ligne, comme tous les acteurs de systèmes complexes, ont commis des erreurs avant 2017, après 2021 et en commettront encore à l’avenir, et ce quelle que soit la compagnie aérienne. Mais comme le rappelle régulièrement l'histoire en ce domaine, les pilotes ne sont qu'un maillon parmi tant d'autres de la chaîne causale. Remettre en question ce principe fondamental serait revenir à la préhistoire des enquêtes des accidents aériens.
Ce qui pose question dans le résumé de l'incident publié dans le rapport d'enquête du BEA, c'est qu'il se focalise un peu trop rapidement - d'aucuns diront facilement - sur le rôle des pilotes d'Air France, occultant par là même les causes sources.
Il n’est par exemple pas fait état des causes de la fuite carburant, à savoir une erreur de maintenance faite à l'occasion d'un entretien réalisé en Chine, erreur déjà survenue en 2015 et ayant alors aussi provoqué une fuite carburant, cette fois-ci identifiée au sol par le mécanicien avion.
Le diagnostic pointant une violation volontaire des procédures nous semble également totalement abusif. Si une erreur a été commise, là encore, l'origine peut trouver sa source parmi un très grand nombre de causes,
parmi lesquelles un défaut d’analyse de la situation par l’équipage, la fatigue, une procédure imprécise sur certains dangers (comme le pointe en l'occurrence le rapport interne d'AF qui souligne, contrairement à BOEING, le fait que "le FCOM/FCTM AIRBUS n'évoque pas le risque lié à la fuite carburant") ou un défaut dans son enseignement (le même rapport interne, dans son annexe à destination des instructeurs pilote, stipule de mettre l'accent sur... le choix des volets à l'atterrissage en pareille circonstance).
Dès lors que le diagnostic se contente de pointer une et une seule responsabilité, en l'occurrence celle des pilotes, le BEA propose, comme "remède", d'enfoncer une porte ouverte, soit une adhésion stricte aux procédures. C'est comme si nous pensions pouvoir solder les accidents de la route en rappelant de manière péremptoire qu'il suffirait pour cela de respecter le Code de la route... Le respect des procédures de vol normales comme celles liées au traitement des pannes est depuis toujours l'ADN des professionnels que sont les pilotes de ligne en règle générale, et d'Air France en particulier. Air France ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui, une compagnie majeure reconnue sur le plan international, sans un professionnalisme de tous les instants, tant de la part des pilotes que des autres corps socioprofessionnels de l'entreprise.
L'histoire aéronautique de la prévention des risques a pourtant démontré depuis longtemps que ce type de traitement mono causal est contre-productif : il décourage les remontées spontanées des pilotes par peur de la sanction, alors que ces remontées sont le socle de l’amélioration constante de notre Sécurité des Vols.
La seule volonté du syndicat ALTER reste et restera la mise en oeuvre de toutes les mesures les plus efficaces pour atteindre un très haut niveau de Sécurité des Vols, selon des processus qui ont fait leurs preuves dans toutes les compagnies du monde, en particulier celui qui consiste à apprendre de ses erreurs, quelles qu'en soient les origines, en toute humilité.