L’audience d’aujourd’hui s’attache à entendre une nouvelle fois les experts du premier collège sur l’impact des tubes Pitot, mais aussi un représentant d’Airbus, venu présenter trois vidéos dites « pédagogiques ».
Les sondes et le Probe Heat Computer
Les sondes sont dégivrées et gouvernées par le Probe Heat Computer, remplacé peu de temps avant l’accident.
Le laps de temps de déclenchement de l’alarme de défaut de réchauffage avait été augmenté à cinq secondes, et une hypothèse avait été que cela avait été la cause du dysfonctionnement des sondes.
Des essais, intégrant le vieillissement des sondes, ont été menés, et cette hypothèse a été écartée.
Les Experts :
« Les sondes se sont malgré tout bouchées pendant 54 secondes, car l’avion est entré dans une cellule très active, non pas dans de l’ice crystal, mais d’abord dans des grêlons se transformant en cristaux de glace au bout d’un certain temps de vol. »
La Présidente :
« L’événement originel est le givrage des sondes. Je ne parle pas de causalité, mais d’événement originel. »
Discussion sur la loi Alternate
La Présidente :
« Hier, on nous a dit que le pilotage en loi Alternate n’a aucune conséquence sur le pilotage et que, pour Airbus, c’est une amélioration du pilotage, même si les protections disparaissent. »
Les Experts :
« Effectivement. L’avion est plus sensible latéralement. »
« Dans le cas de la loi Alternate 2B, on ne rentre pas dans le cadre de la certification. On est dans un cadre de certification d’un avion à commandes électriques en loi Normal, et dans le cas d’une loi dégradée, le texte de certification n’est pas le même.
C’est une spécificité propre à Airbus et non à d’autres constructeurs. Pour nous, c’est une forme de contradiction.
Pour Airbus, la loi Alternate 2B, c’est comme un avion normal, mais un avion normal a une stabilité longitudinale. »
« L’alarme stall est aussi une conséquence du givrage des sondes. Elle a également contribué à perturber l’appréciation de l’équipage. »
La Présidente :
« Quand un pilote entend une alarme stall, ne se dit-il pas que cela n’a rien de bon ? »
Les Experts :
« Non, cela veut dire qu’on décroche. Mais généralement, elle se produit quand on s’y attend : à basse vitesse, en approche, etc.
Lors des entraînements, les équipages s’y attendent.
La problématique ici, c’est que tout arrive en même temps : plus d’AP, plus d’AT, et l’alarme stall. »
Entraînements et simulateur
La Présidente :
« Peut-on aujourd’hui se remettre dans la même situation au simulateur ? »
Les Experts :
« À l’époque, non.
On simulait une panne des deux ADR, mais la situation rencontrée par l’AF447 n’était pas reproductible.
Les simulateurs ne pouvaient pas reproduire la sortie du décrochage.
Aujourd’hui, c’est possible.
En revanche, on faisait déjà des entraînements aux IAS douteuses. »
La Présidente :
« Quand tout arrive en même temps, qu’est-ce qu’il se passe dans la tête des pilotes ? »
Les Experts :
« Inévitablement, il y a du stress, de la crispation, et le pilotage s’en trouve affecté.
Mais pas au point de ce qu’a connu l’AF447. »
« La réaction du pilote à l’alarme stall, notamment son interruption, pose problème : à ce moment-là l’avion n’est pas récupérable, mais cela va à l’encontre de la certification, car l’alarme doit s’arrêter quand on sort du décrochage.
Or, ici, on n’en sort pas, mais l’alarme s’arrête. »
Interventions des parties civiles et syndicats
ALTER :
« À la première instance, vous aviez été précis en disant que lorsque les pilotes ont mentionné les vitesses, c’était un simple constat et non une analyse de la panne des IAS douteuses. »
Expert :
« Effectivement. “On a perdu les vitesses, alors ?” n’est pas formulé comme une information, mais comme une interrogation. »
ALTER :
« Ce n’est donc pas un stimulus déclenchant la check-list ? »
Expert :
« Je réfléchis et je me place dans le contexte de l’entraînement des équipages :
la première chose qu’ils ont observée, c’est une fluctuation des vitesses.
À partir de là, les vitesses sont douteuses.
Mais dans le cas de l’AF447, elles ont chuté, et dans d’autres cas similaires, certains pilotes ont pensé à une panne des systèmes. »
SPAF :
« On parle beaucoup de la loi 2B. J’ai été pilote sur Airbus pendant 16 ans, et encore aujourd’hui, on ne parle pas de séparation entre 2B et 2C. »
Les Experts :
« De mémoire, il y a un tableau dans la documentation qui décrit ces différentes lois. »
SPAF :
« Je vous certifie que cela n’apparaît pas. »
Questions des avocats
Avocat des familles :
« L’accident aurait-il pu être évité, et si oui, par quel moyen ?
Vous n’aviez pas répondu à l’époque.
Aujourd’hui, êtes-vous toujours d’accord avec vos conclusions initiales ? »
Les Experts :
« Si les douze points soulevés par nous à l’époque avaient été réglés, alors oui. »
Échanges avec Airbus
Airbus :
« Existe-t-il des cas où la maîtrise de la trajectoire repose sur une documentation papier ? »
Expert :
« Non. »
Airbus :
« Le givrage a-t-il un impact sur la trajectoire de l’avion ? »
Expert :
« En haute altitude, non, car la glace ne s’accumule pas sur les surfaces de l’avion. »
Airbus :
« Après la déconnexion du pilote automatique, les informations disponibles permettaient-elles de maîtriser la trajectoire ? »
Expert :
« Oui, sous réserve de maîtriser la poussée des réacteurs. »
Airbus :
« Les éléments et les compétences acquises durant la formation permettaient-ils de faire face à la situation rencontrée ? »
Expert :
« Oui.
On ne pourra jamais tout reproduire au simulateur, mais la formation suppose que les équipages puissent transposer à d’autres situations ce qu’ils ont appris. »
Airbus :
« Vous qui connaissez la documentation Airbus, êtes-vous d’accord qu’Airbus a toujours préconisé de respecter l’alarme stall ? »
Expert :
« Oui. »
Airbus :
« ALTER vous a interrogé sur la perception qu’avait l’équipage de l’accident.
Mais le PF dit : “On n’a pas une bonne annonce de vitesse.”
Le PNF lui répond : “On a perdu les vitesses alors ?”
Nous ne sommes pas face à un équipage découvrant la problématique des vitesses. »
Expert :
« Ils n’ont pas prononcé le mot clé IAS douteuse.
La perte de contrôle verticale a été perçue, mais pas celle des vitesses. »
Controverse autour d’une vidéo d’Airbus
Une des vidéos d’Airbus est une reconstitution de l’accident avec des acteurs.
Air France :
« L’une des vidéos est une mise en scène indécente de l’accident et porte atteinte à la mémoire des pilotes. »
Avocat général :
« Cette reconstitution est malvenue et nous préférerions nous en passer. »
Airbus :
« Nous considérons qu’il n’y a pas d’atteinte, seulement la volonté d’apporter des éléments à la recherche de la vérité.
Si vous le souhaitez, nous pouvons la projeter sans le son, pour ne voir que ce qui se passe dans le cockpit. »
Présidente :
« Une longue information judiciaire a été diligentée, ce qui nous amène 16 ans après l’accident.
Et maintenant, on nous dit qu’une nouvelle vidéo va nous éclairer ?
Cela m’interpelle. »
Airbus :
« Ce n’est pas une reconstitution, c’est un outil pédagogique. »
Après une interruption de séance, la cour écarte la pièce fournie par Airbus, considérant qu’elle porte atteinte à la mémoire des pilotes et qu’elle n’apparaît ni utile ni nécessaire à la recherche de la vérité.
Au final, Airbus se prendra aussi les pieds dans le tapis, car une des deux vidéos montrera que les FD ont, en réapparaissant, contribué à déstabiliser la compréhension des pilotes.