Le tribunal auditionne aujourd’hui deux témoins cités par Airbus :

Reinhard LERNBEISS et Yann LARDET.


Reinhard LERNBEISS

Ingénieur, pilote et instructeur A320. Il officie actuellement sur 777 chez Austrian Airlines.

Yann LARDET : ancien chef pilote dans l’armée de l’air, recruté en 2011 par Airbus.

Il a passé sa qualification A330 chez Air France et est actuellement VP Flight Operations Support & Training Standards chez Airbus.

Airbus insiste sur le fait que M. LERNBEISS n’a aucun lien contractuel avec eux et note également son expérience sur Boeing.


Avocat d’Airbus :

« En tant qu’instructeur, quels sont les principes que vous enseignez aux pilotes en matière de gestion de panne ? »

M. LERNBEISS :

« Premièrement, reprendre le contrôle et ensuite s’occuper d’identifier la panne.

Si on a une mauvaise indication de vitesse, en premier stabiliser la trajectoire.

C’est un principe que nous enseignons à tout pilote, quelle que soit la taille de l’avion…

C’est quelque chose qui d’instinct n’est pas évident. La même chose est valable pour la vitesse. »

L’effet de surprise ? L’effet tunnel ? Balayés d’un revers de phrase…

Les instruments de vol en face des yeux du pilote sont là pour ça !

M. LERNBEISS exprime calmement le fait que l’alarme STALL est « quelque chose de simple, même sur les petits avions ou les planeurs » et « qu’il ne faut pas se questionner, le pilote doit suivre et réagir ».

Quant à la connaissance du fait que cette alarme s’arrêtait en dessous de 60 kt :

« En tant qu’ingénieur je le savais, mais l’avion n’est pas censé se trouver en dessous de 60 kt. »


Plus de deux ans après avoir été entendu lors de la première audience, le discours de M. LERNBEISS semble avoir changé, et la Présidente rappelle ce qu’il avait déclaré en première instance :

« …c’était un vol de nuit, il y a des questions que les pilotes doivent se poser. Lorsqu’on perd les indications de vitesse, il y a une procédure à suivre (déconnecter les automatismes), cela veut dire que l’avion est pilotable après la panne de vitesse et qu’on a une incidence qui va bien…

Même les meilleurs pilotes font des erreurs. On a peu de temps pour comprendre le problème.

Avec le startle effect, la peur peut conduire à une situation catastrophique.

Il y a un effet de tunnellisation de la vision. On n’a qu’une vision partielle du problème.

On le voit dans le simulateur. Au simulateur, on peut mettre quelques secondes ou minutes pour trouver la solution. »


Présidente :

« Est-ce que vous savez que les pilotes n’ont jamais perçu qu’ils étaient en situation de décrochage ? »

M. LERNBEISS :

« C’est une très bonne question. De mon point de vue, je n’ai aucune idée de pourquoi ils ne l’ont pas perçu. »

Présidente :

« Effet tunnel, est-ce que la notion de troubles visuo-auditifs vous parle ? »

M. LERNBEISS :

« Je suis instructeur, je suis spécialisé en ingénierie, je n’ai pas de vision éclairée en facteurs humains. »

Présidente :

(Note d’audience du 24 octobre 2022)

Le tribunal rappelle les déclarations de M. LERNBEISS :

« Tout pilote dans sa carrière vit à un moment un stress très aigu. »

Le tribunal :

« Cela vous est-il arrivé ? »

Après avoir plusieurs fois esquivé la réponse et devant plusieurs rappels de la présidente, M. LERNBEISS finit par avouer :

« Oui, j’ai eu une situation similaire.

On a rencontré une onde orographique, l’avion est monté beaucoup plus fort que ce qu’il est capable de faire avec ses performances.

J’ai cru à un problème d’instrument.

J’ai appliqué la procédure UNRELIABLE AIRSPEED, mais la vitesse était bonne, c’était juste à cause des conditions météo qui faisaient monter l’avion.

J’ai quand même réussi à reprendre le contrôle, c’était une situation à haut stress. »

Une question de l’avocat d’ALTER nous apprend que c’était de jour et en contact visuel avec le sol


Question de l’avocat des familles de victimes :

« On a un peu l’impression, en vous écoutant depuis deux heures, qu’avec vous aux commandes le drame ne se serait pas produit.

Est-ce que je me trompe ? »

M. LERNBEISS :

« C’est une question très directe.

Car on parle de pilotes qui ont fait des erreurs.

Bien sûr, je vous dirais que “non”.

Mais on est tous des êtres humains. »

Question du représentant pilote du SPAF :

« Est-ce que les simulateurs représentent à 100 % la réaction de l’avion à haute altitude et à haute incidence ? »

M. LERNBEISS :

« De mon expérience, je n’ai pas eu de décrochage sur Airbus, mais je l’ai fait sur B777 au FL240, et le comportement était similaire au simulateur. »


Audition de Yann LARDET

« Je voudrais partager une pensée que je ressens très profondément pour les familles des victimes.

J’espère que le témoignage que je vais apporter aujourd’hui va permettre de répondre à certaines questions, de lever certains doutes. »

M. LARDET sera félicité de manière ironique par l’avocat des familles de victimes pour sa chorégraphie sans faille avec les avocats d’Airbus, pendant laquelle il démontre — en alternant piques et flatteries — que :

« Le constructeur n’a aucun rôle dans la formation.

C’est uniquement sous l’autorité de l’exploitant.

Je peux en témoigner en tant qu’élève : Air France avait un niveau de formation très exigeant. »

Quant à l’équipage :

« Dans le cas du vol AF447, pendant la 1re minute, si à n’importe quel moment l’équipage avait choisi d’appliquer de mémoire 5° d’assiette, poussée montée, il aurait eu le temps…

Le pilotage en loi alternate ne présente pas de difficulté particulière, [d’autant plus que] les turbulences enregistrées par les instruments de bord étaient légères. »

Présidente :

« La cour comprend bien que l’avion soit pilotable en loi alternate, sinon cela ne servirait à rien qu’Airbus l’ait mise en place.

Ce que dit la cour, c’est que la loi alternate change le pilotage. »

Avocat des familles de victimes :

« Pour vous, un pilote normal peut faire face à cette situation ? »

M. LARDET :

« Les conditions rencontrées par les pilotes de l’AF447 n’étaient pas extrêmement difficiles.

Les pilotes d’AF peuvent faire face à des situations plus difficiles. »

Avocat des familles de victimes :

« Vous avez au moins le mérite de votre franchise : vous dites que votre responsabilité repose uniquement sur les épaules des pilotes. »