Trois pilotes retraités sont cités ce jour par l’association Entraide et Solidarité AF447 : Catherine HOLM, Patrick LAYRISSE et Jean DAGUET.
Catherine HOLM
Mme HOLM a été pilote à Air France pendant 16 ans avant d’intégrer le BEA pendant 7 ans.
Elle a participé aux deux premiers rapports du BEA, à savoir les rapports « 1er mois » et « 6ème mois ».
À la question de la présidente sur l’inhibition à 60 kt de l’alarme décrochage, elle souligne que le problème n’était pas tant lorsque l’avion était en deep stall, mais dès le début de perte des informations de vitesse, où l’alarme stall aurait dû fonctionner au moins 4 secondes de plus qu’elle ne l’a réellement fait.
Ce problème d’inhibition, dès le début de l’événement, provient du fait que l’alarme dépendait de l’incidence mais également du Mach.
Or, toutes les vitesses étant perdues, l’incidence de déclenchement de l’alarme est remontée à 10°.
Ce point figure dans le rapport du BEA (chapitre 1.16.3.2).
Selon Mme HOLM, ce point relève d’une non-conformité réglementaire de déclenchement de l’alarme STALL.
Elle rappelle l’événement précurseur de la TAM du 12 novembre 2003, premier événement enregistré par Airbus et qui présente de nombreuses similitudes avec l’AF447, avec comme piège en moins pour la TAM les FD qui ont disparu mais sans réapparaître.
Lors de cet événement, le CDB, avec plus de 10 000 h de vol, s’est battu pendant près de 4 minutes pour garder le contrôle de la trajectoire.
D’après Mme HOLM, si cet événement avait été correctement pris en compte par Airbus, nombre de pièges présents lors de l’accident de l’AF447 auraient été corrigés.
Le rapport du BEA brésilien soulignait déjà l’insuffisance de la formation des équipages à ce type d’événement.
Elle évoque également la mise à jour du logiciel de contrôle du réchauffage des sondes au cours de l’année 2008 et insiste sur le fait que, côté accompagnement de la formation, ce qui compte, c’est la mise à jour des manuels comme le FCTM, accessible aux pilotes, et non “les conférences avec des chefs de secteur.”
Patrick LAYRISSE
Pilote retraité d’Air France ayant volé sur nombre de types d’avions, du DC3 au B777, en passant par le Super Guppy, M. LAYRISSE a été très actif sur deux forums internet dédiés à l’AF447, en postant près de 10 000 messages.
Il souligne le Safety First #5 d’Airbus, publié en décembre 2007, dans lequel il est écrit :
« La difficulté principale est de détecter rapidement une situation de vitesse douteuse.
Le temps de réaction est crucial, sinon l’avion peut décrocher. »
Il en déduit une contradiction de la part du constructeur, du fait de son absence de réaction.
Il fait une présentation détaillée des alarmes, des affichages, et surtout de l’absence d’affichage explicite à l’ECAM du problème d’information de vitesse, alors que les pannes étaient transmises par ACARS.
Selon lui :
« La vitesse est au cœur de l’activité opérationnelle.
Avoir placé la perte des vitesses en classe 2 — c’est-à-dire faisant seulement l’objet d’une mention en maintenance STATUS une fois au sol — est un manquement flagrant à la sécurité. »
Il conclut :
« Je me mets à la place des pilotes et j’imagine la confusion qui a dû être la leur.
Je remercie Dieu de ne m’avoir jamais mis dans cette situation. »
Jean DAGUET
M. DAGUET est également retraité d’Air France.
Il a notamment été instructeur sur A330/A340 et a vécu deux événements de pertes d’informations de vitesse sur A340.
À l’issue de la première, il reconnaît ne pas avoir fait d’ASR, seulement une longue description dans l’ATL.
Par contre, lors du deuxième événement, en vol de jour vers Bogota, il a réalisé la dangerosité de ce problème et, dès son retour sur Paris, il a été voir tous les services de sa division de vol A330/A340 :
le responsable du niveau pro et de l’instruction, l’OSV, et le responsable du BIT.
Il a découvert à cette occasion que ses propres événements n’étaient pas isolés et qu’Airbus cherchait une solution.
Ce n’est qu’après l’accident de l’AF447 qu’il a découvert l’existence d’une note détaillée chez Air Caraïbes.
Il souligne la différence de positionnement des sondes statiques entre l’A330-200 et les autres types d’avions, le premier étant le seul à nécessiter une correction d’altitude en fonction de la vitesse du fait de l’écoulement de l’air.
Il défend le commandant de bord Marc DUBOIS, indiquant qu’il était parfaitement logique de prendre le repos du milieu, soulignant qu’il faisait de même et qu’il avait pleine confiance dans la formation des copilotes.
Il rappelle également l’intervention des syndicats et des pilotes qui avaient menacé d’exercer leur droit de retrait, après l’accident, pour mettre la pression sur Air France afin d’accélérer le remplacement des tubes Pitot.
Le représentant ALTER lui livre la citation du Directeur de la navigabilité actuel d’Airbus, qui a déclaré lors d’une audience précédente :
« Je ne suis pas pilote de ligne, mais pilote privé ; j’ai déjà décroché avec mon instructeur, pousser sur le manche ne présente pas de difficulté particulière. »
M. DAGUET :
« C’est un défi à son intelligence.
C’est quelqu’un qui ne connaît pas l’Airbus.
Sur un avion d’aéro-club, c’est très rare d’avoir un avion qui déroule le trim de profondeur à plein cabré.
Il faut être un pilote suicidaire.
Sur Airbus, le pilotage en tangage reste avec une stabilité neutre, ce qui veut dire que le pilotage n’est pas du tout intuitif — à l’inverse d’un avion d’aéro-club.
Donc il ne suffit pas de pousser sur le manche.
Dans mes cauchemars, j’ai essayé d’imaginer comment j’aurais essayé d’en sortir.
Je pense que j’aurais réduit les moteurs pour éviter le couple cabreur, j’aurais poussé à fond sur le manche et j’aurais demandé au copi d’accentuer sur le trim à piquer.
C’est une manœuvre réservée à des pilotes d’essai. Et même eux, je crois qu’ils ne la font pas. »
L’avocat d’Airbus tente de le repousser dans ses retranchements, en lui faisant dire que lui-même a fait ce qui est prévu dans les livres : piloter la trajectoire en priorité.
M. DAGUET :
« Normalement, il y a un pilote qui s’occupe de la trajectoire et le deuxième qui s’occupe de la panne.
Nous étions les deux pilotes focalisés à gérer la trajectoire.
Je ne suis peut-être pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, mais nous n’avons pas réussi à traiter la panne.
Tout ça, c’est bien joli, c’est dans les livres.
Mais en croisière, sur la tête d’épingle, c’est irréaliste.
Là, il était nécessaire d’éditer une manœuvre d’urgence avec des items de mémoire : assiette 0, manette réduite.
Même quelqu’un qui n’est pas très intelligent peut l’appliquer. »
M. DAGUET termine en expliquant que, pour une telle situation, il faut descendre pour se créer des marges par rapport aux limites du domaine de vol.