La journée est essentiellement consacrée à l’audition d’Air Caraïbes avec François HERSEN et Yann SIRVEN. Jean-Philippe DANEY, retraité d’Air France est également cité à comparaître. Cependant il se souvient avec difficulté des événements qui le concernent ce qui ne permet pas d’apporter d’éléments nouveaux au débat.
François HERSEN
M. HERSEN a débuté sa carrière à Air Inter. Puis il est passé par TAT, UTA, il s’est occupé de la fusion d’Air Outre-Mer avec Minerve pour devenir AOM, puis d’Air Toulouse (devenu Aeris). Il exerce la fonction de président d’Air Caraïbes Atlantique entre 2003 et 2010 et termine comme président d’Aigle Azur avant de prendre sa retraite pour poursuivre dans le consulting et diriger une petite compagnie AIR TNB basée à Toulouse.
Il décrit comment il a géré les opérations après le 1er événement de perte d’informations de vitesses survenu chez Air Caraïbes le 27 août 2008 avec M. SIRVEN instructeur sur le vol. Il est prévenu dans la nuit et va l’accueillir à son arrivée à l’aéroport. Ils décident d’aller prévenir les deux équipages des vols au départ de Paris pour que M. SIRVEN leur décrive ce qui lui est arrivé et rappelle la procédure. Ensuite, M. SIRVEN rédige son ASR. M. HERSEN prévient AIRBUS à qui il transmet les données de vol et prévient la DGAC. M. SIRVEN rédige aussitôt avec le chef pilote de la compagnie une 1ère note de service à destination des pilotes.
Ainsi, le 2 septembre, lorsqu’arrive le 2ème incident, les pilotes ont été informés et savent comment réagir. Entre-temps, les échanges avaient commencé par emails et téléphone avec AIRBUS.
Le 10 septembre, M. HERSEN découvre qu’il existe un Service Bulletin (SB) 3006 qui préconise le remplacement des sondes AA par des sondes BA qui présentent un meilleur comportement notamment face au givrage à haute altitude. Il écrit à la DAC Nord suggérant que si ce SB règle le problème, alors l’EASA devrait éditer une Consigne de Navigabilité (CN) pour imposer le remplacement.
Le 13 septembre, toutes les sondes de la flotte A330 d’Air Caraïbes sont changées (2 A330-200 d’occasion et 2 A330-300 neufs, le 5ème en commande est directement livré avec des sondes BA). À partir de ce moment-là, Air Caraïbes n’aura plus d’incident de givrage des sondes.
Le 24 septembre a lieu un débriefing avec AIRBUS au cours duquel le constructeur montre un tableau comparatif des événements de givrage de sondes entre AA, BA et Goodrich qui fait ressortir un ratio d’événements entre AA et les 2 autres types de sondes très significatif.
Le 10 octobre, la DGAC informe que le courrier de M. HERSEN est transmis à l’EASA. Le 1er novembre le SB 3006 est modifié par AIRBUS pour retirer la mention indiquant un meilleur comportement face aux cristaux de glace. M. HERSEN décrit à la barre son sentiment de confusion et son amplification à la suite de la réponse de l’EASA, le 30 mars 2009, indiquant qu’il n’y avait pas lieu de remplacer les sondes. Il termine : “Hélas, le 1er juin c’est l’accident à Air France”.
La présidente lui fait remarquer qu’il avait largement anticipé. Il répond “à partir du moment où on avait une recommandation d’AIRBUS et où on avait la gravité [il n’y avait pas à repousser]”. Elle revient ensuite sur la note de 14 pages diffusée le 1er décembre 2008 par M. HOUANG OSV d’Air Caraïbes “[particulièrement] étayée”, ce à quoi il répond qu’ils ont voulu faire une note en deux parties : opération/procédure d’un côté et culture générale de l’autre. À la question de Maître PETIT, avocat d’ALTER, sur la fréquence de ses déplacements pour être présent à l’arrivée d’un avion, il répond “lorsqu’un avion rentrait avec un problème de moteur, il m’arrivait souvent d’aller sur le terrain. Concernant le problème des pitots, cela a été de loin l’incident le plus grave”.
Yann SIRVEN
M. SIRVEN débute sa carrière comme pilote agricole en Afrique. Il vole ensuite sur de nombreuses machines, notamment de type Boeing, avant de passer à l’A340 chez AOM puis l’A330 chez Air Caraïbes où il a été recruté pour être instructeur. Il est familier des pertes d’informations de vitesses : la 1ère sur Corvette, puis sur B737 et B767. Lors de chaque événement, il était de jour (“cela change la donne”).
Il décrit son évènement : “perte du PA, perte de l’ATHR, perte des protections des commandes avec un taux de roulis 2 fois supérieur. Cela demande un effort de pilotage. Alarmes répétitives ECAM, du master caution, du master warning et audio comme le STALL. Là, j’ai repris immédiatement les commandes. J’avais un stagiaire CDB en place gauche. Et on s’est retrouvé dans une atmosphère perturbée et bruyante. Les difficultés que l’on peut rencontrer dans ce cas de figure, c’est la perte de confiance dans les instruments que vous utilisez tous les jours et [il faut] passer par des instruments plus basiques, plus simples. Encore faut-il connaître l’assiette à afficher [dans son événement une sonde d’incidence était bloquée]. [L’horizon artificiel] de secours est très petit, surtout de la place droite. [..] L’effet de sidération que mon stagiaire a eu sous l’effet d’un stress énorme l’a certainement déstabilisé. Il était dans le tunnel. Je lui ai dit “regarde-moi, j’ai le sourire, on vole”. [..] La panne des vitesses n’est pas une simple panne technique parce qu’elle modifie complètement la gestion du vol. Elle peut amener l’équipage en instabilité et en vulnérabilité”.
Il précise qu’en loi alternate, le roulis devient “touchy” dès que l’on dépasse 20° et qu’il apprenait aux pilotes à rester en deçà.
La présidente le questionne sur l’alarme STALL qu’il n’a pas suivie. Il répond que c’était une fausse alarme, car son couple assiette/poussée était bon. Il rajoute que lors du débriefing avec AIRBUS, les ingénieurs lui diront que c’était une vraie alarme. Ce qu’il réfutera. Un ingénieur d’AIRBUS finit par reconnaître que la sonde d’incidence s’était bloquée, du fait de son gel, à 5°.
L’avocate générale le questionne sur sa perception de la gravité de la perte des informations de vitesse, alors qu’il avait déjà rencontré cette situation. Il répond : “Si j’avais eu un autre copilote, je n’aurais sans doute fait qu’un ASR. Sa réaction m’a poussé à prévenir les autres pilotes.”