Cette journée s’ouvre à huis clos par l’écoute des quatre dernières minutes du CVR. Il débute au moment où les pilotes perçoivent une odeur d’ozone et une augmentation de la température, alors qu’ils se trouvent dans une zone de givrage. La déconnexion du pilote automatique intervient très vite tout comme la première alarme de décrochage.
L’écoute du CVR permet de prendre toute la mesure de la soudaineté de l’évènement, ce que ne permettait pas la simple lecture des retranscriptions du CVR.
La retranscription du vol via les échanges en temps réel montre que l’équipage n’a pas eu le temps de comprendre la situation; ni pendant les 46 secondes qui le séparent de la 2ème alarme de décrochage ni durant les 3 minutes et 37 dernières secondes qui suivront.
ALTER ne souhaite pas aller plus en avant dans le détail de cette retranscription douloureuse, mais note que l’équipage reste professionnel et se bat jusqu’au bout.
Après vingt minutes d’une pause nécessaire, l’audience reprend avec les questions de l’avocat d’Airbus destinées aux experts présents la semaine passée. Il oriente le débat sur la DGAC [qui ne fait pas partie des prévenus], sur leur responsabilité de non-diffusion au sein d’Air France de la note SV d’Air Caraïbes, diffusée uniquement par la DAC Nord auprès d’XL et Corsair dont elle assurait la surveillance (cf compte rendu du 2 octobre). Airbus revient également sur la manœuvre de sortie du décrochage.
L’expert pilote M. DE VALENCE (ex-CDB AIR FRANCE) explique l’évolution de la doctrine et conclut : « Les choses sont maintenant claires, simples et partagées par l’ensemble de la communauté ». [Pour sortir de l’alerte du décrochage, dans les années 90 et jusqu’à l’AF447, la doctrine était « il faut augmenter la vitesse donc la poussée ». Désormais, « il faut recoller les filets d’air, donc diminuer l’incidence, donc pousser sur le manche »].
SMS (Safety Management System) :
M. ARNOULD (expert) intervient : « on s’est rendu compte au niveau international que la simple application des textes ne suffit pas, et que même si l’on coche l’ensemble des cases, alors ce n’est pas suffisant. [..] Le réglementaire, c’est le niveau 0 de la sécurité » et ajoute « lorsque j’ai entendu [la semaine dernière] Mme RIGAIL parler du respect des exigences réglementaires sans jamais parler de la sécurité, cela m’a heurté. »
La présidente amène les experts sur le « juste équilibre entre la promotion de la sécurité et les intérêts économiques ».
M. DE VALENCE décrit le traitement effectué par Air France (prise en compte de chaque ASR, RX2, remontée à Airbus, attente de solution) et conclut « Cet avion devait subir le changement des sondes la semaine suivante ».
L’avocat général réagit : « J’ai en tête [..] Air Caraïbes, et une réaction proactive [de leur part] et pas réactive. [..] On ne peut s’empêcher de constater deux réponses qui sont très différentes dans la forme et surtout [dans] la gestion du temps » sousentendant qu’Air Caraïbes a publié une note SV de plusieurs pages ET effectué le changement des sondes Thalès AA par des BA moins d’un mois après le premier événement. M. DE VALENCE répond : « La réaction d’Air Caraïbes, je ne la qualifie pas de proactive. Ils sont juste tombés sur un instructeur qui connaissait parfaitement son job [..]. Cependant, la note était complète, parfaitement compréhensible, détaillée ».
Ce à quoi Maître KORCHIA, avocat d’une partie civile répond : « Il y a 2 pilotes dans le cockpit et ils sont sidérés. Cela fait 100% de sidération. Moi, passager, usager de la compagnie Air France, je ne vais pas choisir mon pilote. Je ne vais pas choisir un pilote acrobate capable de faire des péripéties extraordinaires. Je choisis un vol, un ticket. Lorsque j’en suis là avec un équipage 100% sidéré [c’est que] en amont, quelque chose s’est mal passé ».
Traitement des ASR
La Présidente lit des extraits de procès-verbaux d’auditions de pilotes qui avaient rédigé des ASR dont une majorité, avec alarme STALL et qui n’avaient reçu aucune réponse. L’un d’eux avait même indiqué « je suis passé voir spontanément [..]
Il m’a dit que son service n’avait pas que ce problème à régler et qu’il y avait beaucoup d’ASR à traiter ».
La Présidente précise: « Le commandant de bord a une obligation de rédiger un
ASR. Le fait qu’il n’ait pas de retour est embêtant [..] Lorsqu’on voit que sur 9 ASR, 6 n’ont pas donné un retour, on se dit : où est la culture compagnie ? Chaque maillon est important. » et conclut : « il faut que le retour d’expérience fonctionne comme un ascenseur ».