
Le premier procès de l’AF 447 s’est ouvert le 10 octobre 2022, 13 ans après l’accident.
Pour les familles des victimes et de nos collègues, ce moment de vérité revêtait une importance cruciale.
À la veille du procès en appel (29 septembre-27 novembre 2025), il nous a semblé utile de vous permettre de vous replonger dans ce procès en première instance. L’intégralité du document reprenant toutes les auditions est disponible sur notre fil TELEGRAM et sur le site syndicatalter.fr
Deux premières semaines
Deux visions se sont affrontées en ce début de procès : celle de M PARISIS, pilote d’essai Airbus au moment de l’accident et expert cité par le constructeur lors du procès, et celle des experts indépendants.
M. PARISIS prétend que les pilotes ont parfaitement identifié la situation d’« IAS douteuse » puisqu’ils expriment « On a perdu les vitesses alors ».
De cette affirmation, il déduit que la simple application de la procédure, existante et suffisante selon lui, aurait permis de maintenir l’avion dans son enveloppe de vol.
D’ailleurs, toujours selon cet expert cité par Airbus, si un entrainement à la procédure IAS douteuse à haute altitude a été créé à l’issue de l’accident, ce n’est pas la preuve que celle existante auparavant n’était pas adaptée, juste que les pilotes avaient un « léger » doute à son sujet : « malgré le fait que nous ayons certifié à tous les pilotes d’Airbus que cette procédure était bien optimale en pareille circonstance de vol, nous avons senti que les pilotes n’y croyaient pas, nous avons alors décidé de leur redonner confiance par le biais de ces séances. » Fermez le ban !
Les experts indépendants ayant établi le premier rapport ont une vision tout autre : sur le plan cognitif, « perdre » (les indications de vitesse) n’est pas « douter » (des indications de vitesse). Perdre les indications de vitesse conduit à chercher la provenance du dysfonctionnement, en quête d’une alarme affichée à l’EWD (Ecam Warning Display) et à traiter, et non se lancer dans des actions de mémoire qui symbolisent une situation grave et imminente qu’aucune alarme ROUGE, entre autres, n’est réellement venue appuyer (hormis celle de la perte du pilote automatique).
La « perte » des vitesses (tel que verbalisé par un des pilotes) envoie bien un signal au cerveau différent de celui qui est analysé par l’expert d’Airbus (celui du « doute »). Ce signal de perte de vitesse ne déclenche aucune réaction préconstruite par un entrainement préalable au simulateur (« IAS douteuse à haute altitude »).
Semaines trois et quatre
Le procès de l’accident de l’AF 447 a pris une tournure nouvelle lors de ces deux semaines.
Les témoignages de pilotes, plutôt à charge contre Airbus et Air France, ont mis en évidence la dichotomie entre la théorie de conception des avions Airbus et l’utilisation de ces avions en situation dégradée par des pannes multiples et souvent imprévues par les modèles de formation.
Savions-nous que le simulateur est incapable de reproduire un décrochage haute altitude dans toutes ses composantes, en particulier au niveau du buffeting, particulièrement violent (et sans commune mesure avec le buffeting haute vitesse) à tel point que la lecture des instruments devient très difficile ?
Avions-nous connaissance des défaillances possibles des sondes Pitot et des conséquences graves (voire catastrophique) en vol ?
Avions-nous conscience de la difficulté de maintenir l’avion dans le domaine de vol, à haute altitude, en loi alternate avec des lois de pilotages non homogènes (loi Directe en roulis et loi Normale 1G en tangage) ?
Savions-nous reconnaitre une situation de décrochage, dans un contexte où nous n’étions pas entrainés, alors même que la doxa du constructeur, relayée de manière implicite par l’exploitant, laissait à croire à l’impossibilité d’un décrochage d’un Airbus ?
Savions-nous que la réaction de nos avions de ligne au décrochage n’a rien à voir avec celui d’un avion-école ?
Airbus, et dans une moindre mesure Air France, a tenté de se justifier par des données statistiques, les matrices de risques, censées les dédouaner (mais qui finalement n’ont pas permis d’éviter l’accident).
Pour détourner les faits de culpabilité, Airbus insiste sur la réaction des pilotes de l’AF 447 qui aurait dû être aussi performante que celle d’un pilote d’essai qui s’attend à un tel enchainement de panne. Ces mêmes pilotes auraient donc dû appliquer une procédure que rien dans l’affichage des pannes à l’EWD ou dans la formation dispensée ne permettait pourtant d’assurer qu’il s’agissait de la bonne (procédure) à appliquer au détriment du maintien de l’avion sur sa trajectoire (en espace RVSM).
Les concepteurs d’avions modernes considèrent les pilotes comme un simple rouage de la mécanique mettant en œuvre l’aéronef (le fameux « même ma concierge pourrait le piloter ! »), qu’il n’est nul besoin de leur fournir trop d’informations sur comment fonctionnent les autres engrenages, car cela risquerait de les faire dysfonctionner, qu’ils doivent juste appliquer les procédures, pas plus, pas moins. La formation et l’information se réduisent donc au strict minimum.
Si les circonstances n’étaient pas aussi dramatiques dans le cas de la mise en œuvre d’un avion de ligne avec des centaines de passagers, nous serions tentés de faire le parallèle avec le sketch de Gad Elmaleh sur le montage des meubles IKEA.
L’avenir que nous promettent les constructeurs reste dans la droite ligne de cette doctrine anti-pilote (comprendre anti-coûts financiers) et cherche même à l’amplifier, en particulier avec les SPO (Single Pilot Operation), et ce même s’il faut augmenter les risques en matière de sécurité des vols. Mais n’en doutons pas, des statistiques toujours plus « fines » et des matrices de risques « ajustées » viendront nous rassurer.
Plus qu’un débat sur la recherche de responsabilités, voire de culpabilité, le débat sur ce procès, pour nous, pilotes, devient un débat philosophique sur l’avenir de notre métier face aux volontés des constructeurs, et par voie de conséquence de leurs clients, les compagnies aériennes.
Le même débat aura lieu concernant les deux accidents du B737 Max.
Ce débat doit nous servir collectivement à gagner les prochaines batailles, car tout démontre dans ce procès que la Sécurité des Vols passe par la survie des Pilotes, opérateurs de ces avions complexes, que l’on doit considérer comme le dernier et seul maillon efficace de la Sécurité de nos Vols, de celles de nos passagers.
L’industrie aéronautique (constructeurs et direction des compagnies aériennes) doit faireconfiance aux pilotes en les informant et en les formant de manière optimale et non en lesrendant « aveugles » sciemment.
Les Pilotes ne sont pas un simple rouage à l’image d’un calculateur embarqué, ils sont ceux qui réussiront à les faire « fonctionner » lorsque ceux-ci dysfonctionneront.
Les Pilotes restent le seul vrai cerveau « embarqué » capable de cette prouesse cognitive.
Les Pilotes ne peuvent plus être écartés des processus de conception des avions, en particulier de leurs automatismes et des protections associées (et on parle bien de pilotesde ligne et non de pilotes d’essai !).
Semaines cinq et six
Ces deux semaines ont été principalement consacrées à l’audition des personnes morales mises en examen, à savoir Air France et Airbus (AIB). Le BEA a aussi été interrogé et son rôle dans la chaine de Sécurité des Vols mérite d’être étudié.
Le Tribunal a à nouveau fait la preuve de son expertise, y compris technique, sur le dossierde l’AF 447, il convient de le souligner.
Nous reviendrons dans le prochain BSPN sur les défenses d’Air France et d’Airbus, ainsi que sur le rôle du BEA.
Face aux 228 victimes de l’accident, il convient de rappeler avec solennité que l’humilité d’un constructeur et la capacité d’un exploitant à réagir à un risque identifié sans considérations économiques sont deux des composantes essentielles à la Sécurité des Vols.
Ce procès doit servir la Sécurité des Vols.
