Après vous avoir rendu compte des 6 semaines du procès qui s’est déroulé en 2022, ALTER vous propose une synthèse des éléments de défense d’Airbus, d’Air France et du rôle du BEA
L’intégralité du document reprenant toutes les auditions est disponible sur notre fil TELEGRAM et sur le site syndicatalter.fr
La défense d’Air France :
Air France, personne morale mise en examen, avait dépêché M. Pascal WEIL, CDB AF à la retraite, pour répondre à l’interrogatoire du tribunal, des Procureurs, des Parties civiles et des Défenses (AF et AIB).
Air France plaide toujours non coupable.
AF ne sait pas pourquoi « les » pilotes au cockpit ont agi ainsi en termes de trajectoire dans les toutes premières secondes suivant la déconnexion du PA et, en particulier, jusqu’au décrochage.
AF réfute l’idée que l’équipage était déstructuré comme ont pu le dire certains témoins (BEA, M. PARISIS/AIB…).
AF exprime les raisons de sa non-responsabilité : la communauté aéronautique n’avait pas une conscience aigüe de la dangerosité que représentait la perte des informations anémométriques. La Flight Safety Conference (FSC) d’AIB d’octobre 2008 n’a jamais mis en exergue un quelconque danger de sortie du domaine de vol. « Les ASR en notre possession n’étaient pas alarmistes…, les pilotes d’AF ont eu à leur disposition plusieurs possibilités d’être informés sur le sujet (note OSV A330/340 de novembre 2008, les publications Sûrvol d’octobre et décembre 2008, février 2009), les journées 4S avec l’OSV, les briefings instructeurs lors des séances de maintien des compétences ou lors des contrôles en ligne. »
AF n’en est certes plus à clamer haut et fort qu’elle a très bien fait son travail, mais plutôt qu’elle n’a pas fait d’erreur en regard des connaissances de l’époque en matière de givrage dû aux cristaux de glace et des retours d’informations d’AIB (qui se faisaient néanmoins par moment attendre « un peu »), en particulier sur l’éventuelle l’amélioration de la fiabilité des sondes Pitot Thalès BA ou Goodrich comparée aux sondes AA.
L’information et la formation ont été faites puisqu’« un module IAS Douteuse était bien prévu sur la saison ECP 2008/2009 (certes en basse altitude, car en phase avec le retour d’expérience A320, mais un briefing haute altitude était bien prévu à cette occasion-là). »
En résumé, « nous ne savons pas si nous avons très bien fait notre travail, en revanche, nous ne pouvions faire mieux, ce qui était déjà bien et largement au-dessus du minimum réglementaire. »
- En s’exonérant de toute responsabilité
- En plaidant non coupable en tout
- En ne tentant pas d’expliquer le pilotage avant le décrochage par une information perfectible d’AF vers les pilotes en regard des ASR et des REX d’AF et des autres compagnies
- En ne dispensant pas une formation au simulateur perfectible en regard des ASR et REX d’AF et des autres compagnies
- En n’assumant aucune responsabilité dans la décision de ne changer les sondes Pitot qu’après panne et non par anticipation comme a pu le faire Air Caraïbes Atlantique (sur la base du Bulletin Service d’AIB de septembre 2007 qui stipulait jusqu’à octobre 2008 que les sondes Thalès BA amélioraient l’efficacité contre le givrage)
- En n’émettant aucun grief à l’encontre d’AIB, hormis quelques délais dans certaines réponses, mais sans même que puisse être notée par le Tribunal une obstination manifeste à les obtenir
La défense de la Direction d’Air France accable implicitement les pilotes de l’AF447 et préserve Airbus.
La défense d’Airbus :
Airbus, personne morale mise en examen, avait dépêché M. Christophe CAIL, pilote d’essai, pour répondre à l’interrogatoire du Tribunal, des Procureurs, des Parties civiles et des Défenses (AF et AIB).
« Personne ne connait l’image radar de l’AF447. Pour autant, le pilote à droite s’est inquiété de l’image radar. Le CDB, vu sa réaction, ne semble pas inquiet. Et pour moi, l’image qu’ils avaient devant eux aurait dû les faire changer de route. »
« Faute du pilote, j’aurais fait mieux. »
« Le givrage des sondes Pitot est un non-événement dans la logique Airbus “panne + procédure” (voir J20), la preuve, pour tous les événements précurseurs du même type, l’avion ne s’est pas crashé ! »
En résumé : un avion infaillible, doté de procédures pour compenser toutes pannes.
Panne + procédure = gestion facile pour un pilote (d’essai, prévenu de la survenance de la panne et entrainé) : « Y a qu’à ! ».
Mais M. CAIL, pilote d’essai, reconnaitra finalement que :
« On n’y va pas la fleur au fusil, on y va petit à petit, car c’est risqué pour le vol, la machine. Les vols que nous avons faits, ce sont les vols de catégorie les plus élevés. Une fois qu’on a ouvert le domaine, qu’on maitrise la partie domaine hors du domaine de vol, qu’on est à l’aise, on emmène les experts en démonstration. »
Nous qui pensions qu’il « suffisait » de maintenir la trajectoire ! Alors « M. Airbus », toujours aussi persuadé que l’accident est dû à une simple faute de pilotage, que vous auriez fait « mieux » dans les mêmes conditions (effet de surprise, de nuit, en IMC, non préparé et non formé à ce type de multiples pannes complexes) ?
Maintenir la trajectoire, depuis un bureau, sans avoir subi (fictivement) une perte de 340 ft, sans avoir un vario (fictif également) de – 600 ft/min, sans turbulence, sans les effets de nuit en IMC, pleinement éveillé et non fatigué, et dument formé au pilotage en loi hybride (Directe et 1G) à haute altitude… quand on est pilote d’essai qui refait le film après l’accident, en ayant à l’avance toutes les problématiques à gérer en tête, c’est probablement beaucoup plus facile !
Pour se dédouaner de toutes fautes, la Direction d’Airbus a quant à elle choisi d’accuser sans détour les pilotes de l’AF447 d’être responsables de l’accident.
Le rôle du BEA :
Les champs d’investigation du BEA posent question !
Le BEA a clairement exprimé qu’il n’entrait pas dans ses attributions/missions de remettre en cause la philosophie, la conception, la fiabilité des avions Airbus.
On comprend mieux sa sortie de l’été sur les prétendues violations de procédures par les pilotes d’Air France : « Si ce n’est l’avion, c’est donc son pilote ! »
Si le BEA n’est pas mis en examen dans l’accident de l’AF447, il serait néanmoins temps que ses Directeurs (que nous distinguons bien des salariés du BEA : pilotes, ingénieurs ou autres techniciens) prennent une bonne fois pour toutes leurs responsabilités en de telles circonstances, à savoir enquêter sur le fonctionnement (et dysfonctionnements) systémique d’une entreprise, et ce depuis le niveau des opérationnels jusqu’aux plus hautes sphères directoriales… d’Air France et d’Airbus en particulier.
L’analyse des éléments de défense présentés lors de ce premier procès est essentielle : elle dénote l’absence d’humilité dans l’évaluation des responsabilités et fait ainsi craindre que le monde industriel de l’aéronautique refuse de corriger la racine source de l’accident : une minimisation des risques pour ne pas devoir payer leur atténuation.
Nous sommes prévenus !
Ce procès en appel doit servir la Sécurité des Vols.
