L’abandon voulu d’Orly par Air France est la quatrième flèche lancée par Benjamin Smith pour sa « révolution » de notre marché moyen-courrier.
Après le choix de l’A220, qui brille par sa fiabilité (avions NOGO le 8 juin dernier), après le déplafonnement de Transavia,qui brille par ses résultats financiers, après le transfert du marché domestique à Transavia, qui brille dans sa capacité à abandonner les lignes qu’elle a délibérément sabotées, nous voici à la veille d’une nouvelle catastrophe.
Il est temps de s’interroger sur notre aveuglement à voir se dessiner un avenir sombre pour notre moyen-courrier.Le cabinet SYNDEX a réalisé une expertise sur le projet ORLY, ALTER partage avec vous des extraits indispensables à notre conscience du danger qui se précise.
Observations lucides
Le rapport d’expertise n’élude en rien les problématiques que rencontre Air France dans la gestion du réseau La Navette à Orly.
· Air France enregistre un déficit sur le court-courrier d’un peu moins de 100 millions par an.
· La demande sur les vols La Navette a chuté depuis 2019 (environ –30 %).
· La pression écologique sur le transport aérien, en particulier sur les courtes distances, même si elle est contestable, ne plaide pas pour l’avenir de l’activité court-courrier.
· Transavia à Orly, Air France à CDG, cela améliore la visibilité des marques du groupe.
· Transavia produit du SKO (Siège Kilomètre offert) moins cher que celui d’Air France.
Interrogations légitimes
Le rapport d’expertise, après avoir fait le constat lucide des activités d’Air France sur court-courrier, s’interroge sur le « remède » imposé par Benjamin Smith :
· Si le court-courrier perd 95 millions d’euros en 2023, l’activité long-courrier gagne elle 36 millions (chiffre en baisse du fait des pertes de connectivité avec les lignes domestiques déjà transférées et un redéploiement de nombreux vols vers CDG). Les vols corses représentent 20 millions de pertes à Orly, si bien que l’économie envisagée par le projet d’abandon d’Orly, toutes choses égales par ailleurs, ne serait « que » de 39 millions d’euros par an.
· Les coûts d’exploitation d’Air France à Orly sont plus faibles à Orly qu’à CDG, et la régularité de l’exploitation y est meilleure.
· Air France a délibérément laissé à Transavia les droits de trafic vers l’Afrique du Nord, lignes extrêmement rentables. Mais les droits de trafic de Transavia arrivant à expiration en 2024 et 2025, Air France pourrait très bien candidater.
· Environ 8,5 millions de personnes habitent à moins de 45 minutes d’Orly, et ce chiffre ira grandissant avec l’ouverture de la ligne 14 du métro. Il n’est pas évident que les actuels passagers résidents autour d’Orly (environ 2/3 des pax) iraient prendre des vols long-courriers au départ de CDG, d’autant qu’une offre alternative moins chère existe à Orly.
· Le désengagement d’Air France du long-courrier à Orly (3,7 % des départs en 2019, 2,4 % en 2023) va à l’opposé des stratégies de ses concurrents. La baisse d’activité LC d’Air France au départ d’Orly a été plus que compensée par les autres compagnies aériennes qui ont davantage augmenté leur offre.
· Au départ de Toulouse, Nice et Marseille, le retrait d’Air France pourrait créer un appel d’air pour drainer davantage de trafic long-courrier vers des concurrents d’Air France (en particulier IAG qui, en finalisant le rachat d’Air Europa disposera d’une surface plus importante sur son Hub non contraint de Madrid).
Conditions de maintien d’Air France à Orly
Le rapport d’expertise, sans se soustraire à l’équation de départ concernant la profitabilité de l’activité d’Air France à Orly, propose plusieurs pistes crédibles pour maintenir une activité à Orly :
· Accroitre la performance d’Orly en augmentant la part du long-courrier sur LA Navette. Pour cela, l’acquisition de modules long-courriers plus petits (A321XLR) permettrait de développer une offre dédiée et sans connexion depuis l’Europe. Il conviendrait alors de transformer le produit La Navette en support d’alimentation de l’activité long-courrier.
· Positionner Air France sur des liaisons vers l’Amérique latine au départ d’Orly serait une réponse agressive et non défensive face à l’acquisition d’Air Europa par IAG.
· Avec 50 % des slots à Orly, Air France possède les meilleurs créneaux horaires pour développer le long-courrier.
Le pari Transavia
Le groupe Air France a parié sur la croissance de Transavia, mais cette croissance génère-t-elle du profit, aujourd’hui, demain ?
· En 2023, Transavia est la marque du groupe AFKLM qui se porte le moins bien. Pourtant, Transavia bénéficie d’un investissement important dans sa flotte (l’A320 NEO baisse les coûts unitaires de 10 %).
· Le retour de la règle d’occupation à 80 % des slots, pour pouvoir les conserver, contraint Transavia à augmenter les fréquences, accepter des routes peu ou pas profitables. Cela va à l’encontre du modèle économique des low cost, qui contrairement aux Majors, ne fidélisent pas leurs clients.
· Transavia n’a généré de bénéfices sur aucune des routes reprises depuis 2020 à Air France. Toutes les simulations faites, sur une reprise de La Navette par Transavia, démontrent que les lignes resteraient déficitaires jusqu’à l’horizon 2030 au minimum.
· Pour occuper l’ensemble des slots du groupe AF à Orly, Transavia France devrait opérer entre 80-85 avions sur la seule base d’Orly d’ici à 2026, soit une croissance de +45 % de la flotte d’Orly en 2 ans. Aujourd’hui Transavia France opère seulement 65 avions.
· Le dimensionnement de la flotte Transavia à Orly répond à un besoin stratégique d’occuper les slots d’Orly. Celui-ci est-il en adéquation avec la demande du marché parisien ? N’est-ce pas trop d’offres Transavia au départ d’Orly (offre équivalente à celle d’EasyJet à Londres Gatwick qui bénéficie du marché de toute l’île britannique) ?
Le 4e « coup de génie » de Benjamin Smith n’est plus si évident quand on commence à creuser et que l’on met en perspectives les données fiables qu’Air France a donné au cabinet Syndex pour réaliser son expertise.
Ce qui est beaucoup plus évident et immédiat, ce sont les milliers d’emplois sacrifiés, l’abandon de la desserte du territoire, la mise en danger de notre activité moyen-courrier, l’absence de stratégie pour optimiser les très nombreux atouts de notre compagnie et de ses salariés.
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