La conférence annuelle de l’EASA sur la Sécurité des Vols s’est tenue à Budapest en ce mois d’octobre. Un représentant d’ALTER était présent et sa première impression, dès la clôture de la conférence, doit nous alarmer : « une musique d’ambiance jazz durant les pauses qui donnait des airs de Titanic : l’aviation s’enfonce dans l’Iceberg des réalités, mais n’a toujours pas compris qu’il faut qu’elle revoit son modèle économique et qu’elle envisage sérieusement un palier… de décompression. »
Les principales thématiques abordées ont été : le GNSS spoofing, les nouvelles technologies permettant la décarbonation, la congestion de l’ATC en Europe, l’Intelligence Artificielle, comment attirer la nouvelle génération à travailler dans l’aérien.
Brouillages GPS
De cette conférence, 2 phrases de 2 experts sont à retenir :
Pierre Bouniol (Thalès) : « Nous allons devoir continuer à vivre avec la technologie des récepteurs GPS actuels durant 5 à 10 ans du fait du temps nécessaire aux nouvelles certifications qui permettront d’avoir des récepteurs Multi-GNSS. Mais tout le monde s’accorde à dire que les appareils de brouillages évolueront de manière à garder la même efficacité de brouillage. »
Hette Hoekema (expert en chef avionique et systèmes électriques, EASA) : « Les interférences GNSS sont la partie émergée de l’iceberg qu’est la guerre électronique. Comment tiendront demain les installations sols, et notamment celles du contrôle aérien ? »
Aujourd’hui, une seule solution est reconnue par la communauté : le partage des informations des lieux de brouillages, permettant une mise à jour régulière des NOTAMs. L’EASA, IATA et EUROCONTROL demandent de continuer à rédiger des ASRs pour quantifier le problème. En effet, l’industrie craint que l’habitude faisant son chemin, nous nous accoutumions et nous faisions moins remonter les évènements.
La décarbonation
L’industrie reconnait qu’il n’y aura pas de solution avant 2035. Elle se gratte la tête pour savoir s’il faut réellement investir dans l’hydrogène, par exemple. Elle évoque aussi la problématique de la « concurrence des usages », y compris pour les SAF. La montée en charge est un premier problème, la prise de risque de surcout non supporté par la concurrence est le second (probablement le plus repoussant pour les décideurs financiers).
En clair, comme sur tous les sujets qui touchent aux moyens à mettre en œuvre pour diminuer l’impact industriel d’une activité mondialisée, le nerf de la guerre reste la finance à court terme qui conduit au refus de toute prise de risque non imposé à tous par une autorité qui prendrait ses responsabilités.
L’attractivité de l’aérien
L’industrie aéronautique, au sens large, a conscience qu’elle attire moins les talents. Francesco Bertaccini, Chef de la sécurité aéroportuaire et directeur adjoint de la sécurité pour les aéroports de Milan, indique qu’aujourd’hui il se pose la question concernant la problématique des « runway incursion » : « doit-on privilégier un bon technicien, ou quelqu’un qui parle bien anglais ? », sous-entendant qu’il n’est plus possible d’avoir les 2 compétences chez un même candidat.
Janos Toth, Senior Manager Safety à Wizz Air, reconnait que la qualité de vie au travail est un vrai problème chez les pilotes et les PNC. Il indique « proposer des aides sur volontariat ou non pour lutter contre la fatigue selon le contenu des rapports fatigue ».
Airbus indique faire des recherches sur l’attention des pilotes au travers de la surveillance des mouvements oculaires.
Et pendant que tout ce petit monde s’interroge sur la meilleure manière de ne rien remettre en cause dans l’exploitation aux limites des salariés de l’aérien, M. Marouan Chida, Chef de l’unité transformation du contrôle aérien à EUROCONTROL, enrage : « le contrôle aérien en Europe a été conçu pour une capacité avions de 40 à 45 par heure. Durant l’été, nous atteignons les 100 ! Le système est étiré au maximum. Chaque été est une souffrance. ». Il sera, durant toute la conférence, le seul responsable à oser employer l’expression la plus taboue de l’industrie aéronautique : « cap the trafic », plafonner le trafic.
Le déni pour une dernière valse à Budapest ?
L’industrie, à l’image de Maria Nieves Rueda (directrice de la stratégie et de la gestion de la sécurité à l’EASA), préfère se moquer lorsque le terme de plafonnement est évoqué et penser qu’il faut continuer sur la même trajectoire en pariant sur la « communication qui doit être claire et transparente » notamment à l’attention des riverains et des environnementalistes. Ses compatriotes espagnols, riverains de Valence, doivent en effet se dire qu’ils ont souffert d’un déficit de communication claire et transparente !
Remettre en cause le modèle « tout low cost » ? Pas question, c’est trop profitable [à quelques-uns]. Pourtant c’est ce modèle qui fait exploser le trafic aérien, ses émissions de CO2, la congestion du ciel, la fatigue des opérateurs de l’aérien, engagés dans une concurrence sans fin, un turn-over des salariés qui crée des pertes de compétence.
Les perspectives d’essor du transport aérien mondial sont hallucinantes.
Est-ce que cette expansion sans limites reste raisonnable ?
Qu’on le veuille ou non, pour des raisons de Sécurité des Vols et de réchauffement climatique, on est obligé de se poser la question, puis d’adopter une stratégie supportable.
Ce n’est pourtant pas ce qui semble se dessiner au niveau de l’EASA, malheureusement.