L’enquête de Radio France et les témoignages retranscrits nous ont choqué par la douleur perçue chez les femmes qui se sont exprimées. Ces mises en perspective des dysfonctionnements de la lutte contre toute forme de harcèlement interrogent. Anne Rigail a feint la surprise, nié la légèreté de sa politique de prévention, mais prend finalement des mesures correctives. Nous devons repartir d’une page blanche pour ambitionner une réelle efficacité dans la lutte contre toutes les violences sexistes ou sexuelles.
Pour s’attaquer aux violences sexistes et sexuelles, il faut définir l’objectif : protéger chacune et chacun contre les souffrances subies ou ressenties par de tels actes.
Les verbatims qu’ALTER avait recueilli en 2021 auprès des femmes pilotes étaient une première prise de conscience de la nécessité d’agir, mais nous n’avons pas réussi à imposer cette nécessité aux directions d’Air France et Transavia France.
La médiatisation qui vient d’avoir lieu permettra, nous l’espérons, une sincère prise de conscience de notre direction. Le discours ne suffit plus, il ne fait plus illusion.
Prévention
La sensibilisation n’a pas suffi. Elle avait le mérite de ne pas trop froisser les âmes sensibles, de ne pas coûter très cher à l’entreprise, mais elle maintenait pour chacune ou chacun une libre interprétation de l’acceptable.
Une formation dispensée par un organisme spécialisé est devenue incontournable à plus ou moins brève échéance. Les délégués ALTER peuvent témoigner, après avoir suivi cette formation, beaucoup de certitudes tombent sur la complaisance que nous accordions à certains de nos comportements.
Cette formation ne peut se faire en e-learning car elle ne permet pas d’interagir avec le formateur. Ce serait contre-productif chez celles et ceux qui ne sont pas naturellement convaincus du problème qui perdure.
Définir les frontières infranchissables protège les potentielles victimes, mais également les éventuels accusés.
Apprendre que l’absence de réaction ou un rire de la victime ne signifie en rien qu’il n’y a pas atteinte à la dignité ou qu’il y a consentement, mais bien souvent un mécanisme de défense, est essentiel pour garantir un environnement de travail sain.
Connaitre l’influence du lien hiérarchique existant en équipage dans la liberté de paroles et d’actes des uns et des autres prémunit d’abus de pouvoir parfois involontaires.
Savoir que la vie en escale reste juridiquement dans le cadre professionnel où l’influence du lien hiérarchique est présente n’est pas intuitif, mais doit être pris en considération dans nos relations équipage.
Apprendre à se défendre face aux violences sexistes et sexuelles, avec des outils pensés par des professionnels, améliore la sérénité de chacune et chacun des salariés.
Sans aucun doute, des pilotes appréhenderont cette formation en se disant « on ne peut plus rien dire, on ne peut plus rien faire ». ALTER formule le souhait qu’ils ressortent de cette formation en se disant « on ne peut pas tout dire, on ne peut pas tout faire ».

Enquête
Croire le témoignage d’une personne qui signale un acte de violence sexuelle ou sexiste ne veut pas dire balayer la présomption d’innocence, cela veut dire qu’il est légitime d’enquêter.
Comme en droit commun, les pouvoirs judiciaires et disciplinaires ne doivent pas être concentrés dans les mêmes mains.
Le pouvoir disciplinaire appartient à la direction de l’entreprise, elle ne peut s’arroger le pouvoir judiciaire. Il est indispensable que les enquêtes soient menées par un organisme indépendant, donc extérieur. Air France sait le faire aujourd’hui quand un de ses hauts dirigeants est sous le coup d’un signalement de harcèlement.
Des organismes existent, leurs membres sont expérimentés et formés pour enquêter, recueillir la parole de toutes les parties prenantes du signalement, témoins compris, et qualifier les actes si ceux-ci sont avérés sans aucun doute.
Une enquête menée ainsi selon des processus qui excluent l’arbitraire et l’émotionnel prémunit à la fois les victimes de tentatives d’enterrement du signalement, mais aussi tous les salariés qui pourraient se mettre à craindre, à tort ou à raison, quelque abus de signalements que ce soit (le fameux « je ne prendrai plus l’ascenseur seul avec une femme »).
Les délais d’enquête, les mesures conservatoires pouvant être prises et les moyens d’accompagnement des salariés, plaignants ou accusés, doivent être formellement définis dans la renégociation de l’accord de lutte contre les violences sexistes ou sexuelles.
Sanction
Le règlement intérieur d’Air France définit différents niveaux de sanction : lettre d’observation, sanction du premier degré, du second degré, du second degré pouvant aller jusqu’au licenciement. Un éventail de sanctions est à la disposition de la direction à l’intérieur même de chacun de ces degrés.
Pour les sanctions du second degré, un conseil de discipline se réunit et trois représentants de la direction, plus trois des organisations professionnelles, siègent pour voter, ou non, la proposition de sanction émise par le responsable hiérarchique du « sanctionnable ».
En droit pénal, les peines encourues sont encadrées (« entre 3 et 7 ans de prison » par exemple). Pour éviter l’arbitraire dans les sanctions prononcées, nous pensons qu’il faut définir un degré de sanction proportionnée à la qualification des faits issue de l’enquête.
Qu’il s’agisse de propos sexistes, harcèlement sexuel, violence sexuelle ou viol, qu’il y ait récidive ou non, l’encadrement de la sanction, au sein de la future charte de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, doit être discuté pour garantir un traitement juste et équitable.
Anne Rigail nous a fait part de son inquiétude pour l’image d’Air France. La direction a démontré par le passé sa tentation d’abuser de la sanction pour donner une image de réactivité. C’est donc en amont que nous devons nous prémunir de toute tentation qu’elle aurait de passer d’un extrême à l’autre.
On peut croire que la sanction est la solution. C’est une partie de la solution, pour parer au plus urgent, mais il faut avant tout agir sur les consciences, sur les comportements, faire en sorte qu’ils ne se reproduisent plus. Travailler sur une nouvelle charte de lutte contre les violences sexistes et sexuelles devra respecter le triptyque indissociable prévention-enquête-sanctions.